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 Firmin le solitaire

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AuteurMessage
yugcib
Plume timide
yugcib


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Date d'inscription : 26/10/2012
Age : 76
Genre Littéraire : inclassable

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MessageSujet: Firmin le solitaire   Firmin le solitaire Icon_minitimeVen 25 Mai - 15:55

Tous les décadis, le long de la piste de Bukenvo, vers le bourg le plus proche, il cheminait, Firmin le solitaire, dans le même costume à carreaux, avec sa casquette grise et ses souliers noirs, d'un pas égal, les mains enfoncées jusqu'au fond de ses poches.
Les promeneurs du décadi, en famille ou en groupe, le rencontraient, inévitablement.
Firmin le solitaire ne saluait jamais, marchait tout droit devant, sans un écart, aller-retour au bourg. Depuis des années, entre trois et cinq heures, le décadi après-midi, dans un sens ou dans l' autre, on l' apercevait.
Sa promenade du décadi était un rituel, son unique sortie.
Il demeurait dans une petite maison délabrée, en bordure de la voie ferrée, à quelques kilomètres du bourg. Il travaillait à l'usine du pays, intégré dans une équipe d' assemblage de pièces détachées, ne parlait pas, ne riait pas, n' avait aucun contact avec ses camarades d' atelier. Il n' était pas du pays ; venu, un jour, avec son sac sur le dos, il se rendit à l'usine, fut embauché comme mécanicien, accepta ces tâches répétitives, tel un robot placé dans une chaîne de montage. Tous les soirs, il regagnait une maisonnette sans confort. Au début du mois, il  payait son loyer.
Personne ne savait d' où il venait, ni s'il repartirait un jour. On ne lui connaissait pas de petite amie, et jamais, il ne se rendait à la ville voisine.
Les gens se demandaient bien ce qu'il faisait de son argent, puisqu 'il ne dépensait rien et vivait sans besoins autres que ceux, très élémentaires, de son modeste entretien.
Un matin, le lendemain d'un décadi, des employés de la voie aperçurent sur le rail, un homme coupé en deux. C'était Firmin le solitaire, dans son costume à carreaux.
Il fut incinéré au Crématorium du village. Et comme nul ne vint réclamer ses cendres, l' officier municipal et les employés du service funèbre placèrent l'urne dans une alvéole, au sous-sol de la Maison du Peuple, se recueillirent quelques instants, puis, attribuèrent un numéro, au-dessus du petit carré scellé. Au bout du délai de garde réglementaire, l'urne serait retirée, et les cendres éparpillées en plein champ.
L'usine s' agrandit, les jardins et les façades des maisons s' embellirent, il y eut des fleurs nouvelles, des fruits, des noces, des moissons ; les fermiers s' équipèrent en nouvelles machines agricoles, les dernières filles à marier se marièrent, les vieux du pays moururent dans leur lit, il y eut un ou deux infarctus, quelques virus inconnus sévirent dans la population locale, un homme se pendit dans une grange, les écoliers se réunirent autour d' étranges vestiges et de ruines mises à jour par les archéologues, quelques bonnes histoires, bien salées, de cocufiage, circulèrent de porte à porte. Un guérisseur,  exerça ses talents, un sorcier jeta des sorts, un " fada", au fond des bois, recueillit des dizaines de chats errants, des " messes noires " attirèrent les femmes les plus médisantes, les doryphores dévorèrent les feuilles des pommes de terre ; une vache fut peinte aux couleurs du village, tirée sur le champ de foire, hissée sur la tribune d' honneur à l' occasion d'une exposition inter régionale où l'on ne primait que des bêtes sélectionnées, par un jeune paysan en mal de popularité qui voulut faire une blague...
Un enfant du pays, un jour, demanda à sa mère ce qu'était devenue cette naine difforme, bossue, impotente, aussi laide qu'un pou de lamina, aussi sale qu'un nombril encrassé, qui recevait, tous les décadis après-midi, un grand gaillard sec et maigre vêtu d'un costume à carreaux.
-- Vers la fin de l' hiver dernier, je crois bien, une veille de décadi, une fourgonnette de la Brigade Sanitaire s'est arrêtée devant la maison de la naine.
Je les ai aperçus en traversant la rue pour aller à la boulangerie : deux types en blanc, ils sont entrés dans la maison, sans frapper, ouvrant brutalement la porte, puis ils sont ressortis, tirant la naine hurlante comme un paquet de linge sale. Cela s'est passé très vite...

Carnets de route, Eridan, été 636-ER-4.

[ Au pays des guignols gris, les contes ]

[ Texte de Guy Sembic, dit Yugcib ]
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http://yugcib.e-monsite.com
 
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