"Elle en avait dix-sept quand on lui a dit qu'il était perdu. Elle a pleuré beaucoup, parce que le désespoir est femme, mais pas plus qu'il n'en fallait, parce que l'obstination l'est aussi.
Il restait ce fil, rafistolé avec n'importe quoi aux endroits où il craquait, qui serpentait au long de tous les boyaux, de tous les hivers, en haut, en bas de la tranchée, à travers toutes les lignes, jusqu'à l'obscur abri d'un obscur capitaine pour y porter des ordres criminels. Mathilde l'a saisi. Elle le tient encore. Il la guide dans le labyrinthe d'où Manech n'est pas revenu. Quand il est rompu, elle le renoue. Jamais elle ne se décourage. Plus le temps passe, plus sa confiance s'affermit, et son attention.
Et puis, Mathilde est d'heureuse nature. Elle se dit que si ce fil ne la ramène pas à son amant, tant pis, c'est pas grave, elle pourra toujours se pendre avec."
Un livre qui traînait dans ma bibliothèque depuis que mon prof de français avait décidé de traiter dessus. Je l'avais lu, certes, comme un livre de cours, en prenant des notes sur les figures de styles, l'intrigue et le squelette de l'histoire. Je l'avait trouvé bien, sans plus. Une écriture au style étrange, une belle histoire... C'est là que je me rends compte qu'aujourd'hui quand on étudie la littérature, on regarde l'agencement des mots mais jamais les mots eux mêmes.
J'ai repris ce livre, parce que l'histoire était bien et que j'avais envie, comme ça.
J'ai suivit tout au long du premier chapitre, le voyage de cinq condamnés à mort, vers les premiers lignes. Dans les tranchés, dans la boue, au travers de leurs pensées, de leur souvenirs, des flitch flotch et des "attention au fil". Et puis, finalement, un plongeon. La rencontre de Mathilde, et les mots poignants qui vont avec...
Jamais je ne m'étais rendu compte des mots que Sébastien Japrisot avait utilisé. J'avais souligné la figure de style, repéré l'oxymore. Mais je n'ai pas vu cette image latente, d'une jeune fille et d'un fil, d'un espoir. Je n'avais pas non plus entendu cette phrase dans ma tête : ce qui ne nous tue pas nous rends plus fort, ce qui nous tue, nous tue.
Bref, on dit qu'on ne revient jamais sur une première impression, c'est peut être vrai pour les gens, mais pas pour les livres. Des mots crus, poignants, déconcertants, justes, vrais, terribles. Des mots qu'on nous apprends à survoler au lieu de les vivre.
Si à l'occasion, vous avez envie de faire un tour dans les tranchées, ou de savoir pourquoi Mathilde cherche désespérément Manech, ou même ce qu'est devenu Manech, ce qu'est Bingo Crépuscule, qui est Célestin Poux, où nous emmène ce fil, alors prenez le temps de le lire, il en vaut la peine.